Rompre le pain en Palestine
En préparant mon sac et en y glissant une miche de pain à peine refroidie et faite par mes soins, la pensée de partager mon pain, casser la croûte en quelque sorte, avec les colocataires et compagnons de route de ma fille, me réjouissait. Com-pagn-ons : ceux avec qui l’on partage le pain.
La veille de mon départ en Palestine, une nouvelle de dernière heure arrive à propos de vestiges découverts dans une grotte en région Rhône, tout près d’où j’habite. Trouvaille extrêmement significative, d’autant qu’elle prouve non seulement une cohabitation entre l’homme Néandertal et l’homme moderne, mais elle suggère aussi qu’ils auraient peut-être rompu le pain ensemble. L’homme Néandertal, dans sa créativité, utilisait graines, herbes et pousses en suivant un processus assez élaboré pour cuire le pain en fin de compte. Whaou ! Ceci change considérablement nos idées préconçues sur la préhistoire, le fait de savoir à présent qu’à la fin de l’ère Epipaléolithique, nos ancêtres cuisaient déjà des graines, bien avant les chasseurs-cueilleurs ou les premières communautés agricoles établies. Compte tenu de tout ceci, je fis mes recherches préhistoriques sur le Proche-Orient et découvris que des vestiges des Néandertals vivant aux côtés des hommes modernes il y a 200,000 ans, furent aussi trouvés dans la grotte Shuqba à Ramallah, la ville même vers laquelle j’étais en partance ! Quelle coïncidence !
Ceux avec qui l'on partage le pain
La signification semblait m’échapper. Mais en préparant mon sac, la pensée me vint alors que j’y glissais une miche de pain à peine refroidie et que j’avais concoctée avec des blés différents : de l’avoine et des farines de blés anciennes fraîchement moulues et cultivées dans la commune de Bras, un lieu situé à une heure de route au Nord de chez moi. En fait, l’idée me réjouissait de partager mon pain, casser la croûte en quelque sorte, avec les colocataires et compagnons de route de ma fille. Com-pa-gnons : ceux avec qui l’on partage le pain.
L’histoire de l’humanité marque officiellement le début de la civilisation lorsque nous avons commencé à partager des fours communs, c’est ce qui se passa au Proche-Orient. Depuis l’aube de l’humanité, le foyer, le feu, demeure l’endroit où nous nous asseyons et partageons. Le régime alimentaire Méditerranéen le plus ancien du Proche-Orient continue à ce jour à être perçu comme le plus sain du monde. La cuisine Méditerranéenne reste de saison et est définie par l’agriculture locale et la culture de la communauté. Elle comprend beaucoup de pousses et de germes (pois chiches, fèves, graines de blé, lentilles, semoule), fruits à coque, graines (amandes, pines de pin, noix), légumes verts, salade (corète potagère, épinards, blettes, etc), fruits (dattes, figues, grenades, agrumes, olives), un peu de viande, beaucoup de produits laitiers fermentés et achards de légumes. (Le concombre, la tomate, l’aubergine, le piment, le poivron et le maïs vinrent tous des Amériques il y a très longtemps, tout comme les infusions de Maté arrivées plus récemment et devenant un « must » et une tradition à servir au sein des cercles féminins en Palestine).
Le lendemain, je romps le pain à Ramallah avec un fascinant groupe de personnes multiculturelles et très modernes, venant du Brésil, d’Italie et du Plateau du Golan plus au Nord. Techniquement parlant, Israël s’est emparé de la Syrie et occupe cette partie depuis 1967. Le groupe ethnique d’ici appelé les Druses, possède une cuisine foncièrement Syrienne mais aussi Arabe, qui comporte plus de 20 différentes sortes d’herbes et de plantes fourragères (qu’ils n’ont plus « le droit » de cueillir). J’ai entendu dire que quand Naseba Samara, une fameuse cheffe druse de Buq’ata, se met à cuisiner l’alimentation traditionnelle, elle le fait si bien que la joie et la bonne humeur en ressort immédiatement.
Mes joyeuses retrouvailles avec les falafels
J’étais vraiment heureuse de manger des falafels à nouveau. Il y a 35 ans, lorsque je travaillais dans le département du textile à New-York, mon déjeuner « au format de poche » composé de pita, était mon préféré. Les falafels sont faits à partir de pois chiches ou de fèves, on y ajoute des oignons, de la coriandre, du persil et on les roule en boules avant de les frire. Mon premier déjeuner à Ramallah fut simple, multicolore, traditionnel et très satisfaisant : une pile de pitas tièdes et une flopée de petits plats : houmous, fèves, achards de carottes et concombres, accompagnés de bâtonnets de radis également vinaigrés et d’un rose pétant, avec de croustillants et odorants falafels agrémentés d’un peu de Shatta (pâte de piment salée). J’ai également mangé un fabuleux pita « format poche » qui dégoulinait de sauce tahini à Jérusalem.
Mes joyeuses retrouvailles avec les falafels me poussèrent à aller rechercher les meilleurs, alors, sur de bons conseils, je partis pour la république du falafel à Bierzeit. Ce fut vraiment exceptionnel, merveilleusement léger et parfumé. La minuscule pièce aux vieilles pierres apparentes dotée uniquement de 5 tables et une cuisine ouverte, donnait cette sensation rassurante d’être comme à la maison, chez grand-mère, bien que le niveau de préparation culinaire fut on ne peut plus grandiose. Je commandais un sauté de foie de volailles en sus, tout en craignant de ne pouvoir manger le tout, mais ils étaient si extraordinairement succulents que je ne pus m’arrêter. Caramélisés avec des oignons, les bords des parties tendres légèrement croustillants, ils étaient acidulés et enrichis il me semble de l’ingénieuse addition de sirop de grenade.
La cuisine de Naseba
J’ai visité Haïfa, Acre, Jéricho…mais ce fut au Plateau du Golan que j’expérimentais le plus beau des repas ; ce qui se disait de la cuisine de Naseba s’est avéré : son exquise « cuisine de l’âme » me remplit de joie. On nous installa autour d’un feu, toute nationalité confondue : Américaine, Arabe, Brésilienne, Druse, Française et Italienne. tous unis par le même amour de la bonne chair et de la culture. Naseba nous servit un plat avec du Dawali (feuilles de raisins fourrées au riz et aux épices), des rouleaux de chou farci, du Kibbeh (boulgour à l’agneau et aux céréales) des kebabs légèrement épicés avec juste une touche de cannelle, du riz avec du vermicelle toasté, une aubergine très fumée Baba Ganush, des lentilles, des graines, et ces énormes pains plats si fins qu’ils en sont transparents, Laffah, roulés avec du lebneh (adorables petites boules salées de fromages de chèvre filtré et conservées dans l’huile d’olive) et généreusement saupoudrés de za’atar (origanul syriacum mélangé avec des graines de sésame, du sumac et du sel).
Il y avait aussi une tarte fine farcie d’herbes au riche parfum qui saisirent instantanément mon attention. Qu’était-ce? Un peu plus tôt j’étais partie me balader pour trouver la fameuse et hautement prisée Gundelia, une plante un peu comme un chardon dont la tige a le goût de l’artichaut et de l’asperge. Sans succès, mais par contre, ce que vint ensuite, ce que l’on me montra me souffla…devant mes yeux ébahis je vis le même genre de feuilles vertes que celles que je cueillais dans les champs près de Trévise, au nord de l’Italie à la même période, juste avant l’Equinoxe ! Je les cuisais à l’étouffée et en mangeais en grande quantité, elles sont riches en fer et en minéraux et tellement goûteuses. C’était bien ce que j’avais discerné dans la tarte, et j’étais toute excitée de retrouver cette feuille. Mais tout ceci ne me dit toujours pas comment elle s’appelle ! (Si vous connaissez son nom, je vous en prie faites moi plaisir et dites le moi !)
Plus de temps, plus de pain à rompre et une plus grande valise !
Je n’ai pas pu en emporter avec moi mais ce goût me restera à jamais à l’esprit. J’ai rapporté néanmoins quelques superbes épices, dont certaines venaient d’un fascinant magasin issu de quatre générations de négociants en épices à Haïfa. Une tomate séchée avec un peu de piment alimentent l’inspiration de mes plats en ce moment, ou du za’atar fraîchement moulu divinement saupoudré sur un yaourt, ou encore des légumes grillés, ainsi de suite. Mon acquisition la plus importante : un gros sac de freekeh, du blé vert concassé légèrement fumé. Je trouve que c’est la céréale la plus savoureuse au monde et j’ai sans cesse envie d’en manger.
Je crois que lors de mon prochain voyage en Palestine, je m’octroierai plus de temps, plus de pain à rompre et une plus grande valise. J’ai trop hâte de partager à nouveau avec des gens aussi merveilleux.